20.07.04

56 ème étape – 20 juillet – Portomarin => Palas de Rei
(25,12 kilomètres et 32’211 pas – Cumulés : 1'425,52 kilomètres et 1'784’228 pas - Restent 65 kilomètres jusqu’à Santiago et seulement 2 jours)

Ma journée a commencé vers 4h00 ce matin lorsque je suis sorti télécharger ma chronique d’hier. La bande passante GSM de nos étapes étant en général trop sollicitée en fin de journée, il m’arrive de fréquemment profiter de la quiétude de la nuit pour le faire quand les pèlerins et leurs portables dorment.

Cette nuit, le terme quiétude était inadapté car il y a eu tellement d’arrivants sur le chemin aux alentours de Sarria (Pour mémoire, dernière ville avant la limite des 100 kilomètres de marche nécessaires à l’obtention de la Compostella) qu’il n’y a plus de places disponibles dans les auberges et que beaucoup choisissent de dormir à la belle étoile.

Ce qui a donné une couleur surréaliste à cette escapade nocturne, les ronflements des pèlerins imitant à la perfection les croassements d’amour d’un groupe de grenouilles ! J’ai eu du mal à me rendormir tellement je riais tout seul…

Mais une fois endormi, j’ai prolongé ma nuit jusqu’à 7h30, ce qui est une performance pour moi. Après, petit-déjeuner, lavage de dents, paquetage pour une mise en route à 9h30. A peine passée la place de Portomarin,

"Portomarin - 20 juillet 2004"

nous tombons sur nos pèlerines allemandes préférées en train de prendre leur petit-déjeuner dans un café de la ville (Elles avaient déjà marché une dizaine de kilomètres n’ayant pas dormi à Portomarin). Le temps de blaguer, 10 heures moins vingt, soit notre plus tardif départ ! Nous n’étions pas plus mal à l’aise que ça, l’étape étant courte.

Seulement voilà, ce chemin ne se laisse pas dompter comme cela…

Sans raison objective que je pourrais partager avec vous, les 25 kilomètres à franchir ont décidé de se faire mériter un à un, comme une des dernières occasions d’être sûr que nous n’oublierions pas tous ses enseignements car on ne quitte pas un maître sans y mettre les formes et surtout sans que lui ne l’ait décidé, voire accepté.

Retour aux images, à la sortie de Portomarin, l’écho de la ville ancestrale engloutie

"Mémoire de l'eau..."

Une vision type de la Galice rencontrée jusqu’à présent

"No comment"

Le genre de hameaux traversés

"No comment"

Ambiance…

"Ambiance du jour..."

Autre ambiance

"Typique !"

Peu avant d’arriver à Palas de Rei

"No comment"

Où il n’y a pas grand-chose à voir ! Le palais du roi ayant donné son nom à la ville remonterait au VIII ème siècle et il n’en reste rien, vraiment rien…

Maxence et Mallory m’ont téléphoné, chacun à leur tour, pour me dire qu’ils avaient préparé leurs affaires pour leur grand départ de demain matin, j’en ai été très ému, ils me manquent tellement. Moi qui ai souffert si longtemps de l’absence de ma mère et d’un frère ou d’une sœur, donc d’une vraie famille, voilà près de 2 mois que je me prive volontairement de la mienne, une dure épreuve.

Alice m’a dit quelque chose de vraiment important hier, qu’elle se réjouissait de faire la route pour venir nous chercher afin de réaliser ce que nous avions marché. Que même si cela se passerait dans le confort d’une voiture roulant à plus de 100 kilomètres à l’heure, cela l’aiderait à comprendre ce que nous avions vécu.

Sur le moment, j’ai pensé que 2 jours de voiture comparés à 58 jours de marche, c’était comparer des casseroles et des pruneaux. Puis, une nuit et une journée de réflexion plus tard, j’ai compris… Peu importait le moyen, la durée, ils venaient nous chercher et nous ramener dans notre maison, la boucle serait bouclée.

Je cherche à ne pas trop penser que j’ai devant moi l’avant-dernière nuit de notre pèlerinage, que demain soir ma famille et moi dormirons en Espagne, avant de nous retrouver jeudi à Santiago.

Il y a si longtemps que nous sommes partis, j’ai plongé si loin en moi que j’ai craint de ne pas pouvoir remonter, que ma vie serait pour toujours celle-ci. Dormir plus ou moins bien, plutôt moins d’ailleurs, se lever avec des douleurs pendant des semaines, manger ce que l’on trouvait lorsqu’on le trouvait, marcher indépendamment de sa forme, de son envie, arriver quelque part, y dormir et recommencer le lendemain, et le jour d’après, et le suivant…

Renoncer au contrôle que l’on croit exercer sur le temps dans notre vie, comprendre que se distraire, allumer la télévision, téléphoner, aller au cinéma sont souvent des emplâtres que l’on pose maladroitement sur des questions fondamentales que l’on refuse d’affronter.

Nous serons des femmes et des hommes au destin inachevé tant que nous n’accepterons pas cette échéance qui est fixée à chacun, qui fait que nous sommes des créatures sublimes ou pathétiques, selon l’angle de vue. En oubliant notre avenir, en rejetant notre passé, nous condamnons notre présent à n’être qu’une parenthèse dans la marche de ce monde qui continuera bien après notre dernière supplique…

"A la sortie de Sarria..."

Je me pose une question depuis le 12 novembre 1980, depuis que ma mère est morte à 49 ans d’un cancer, je me torture pour savoir : Pourquoi ? Pourquoi cette vie, pourquoi cette maladie, pourquoi cette fin si douloureuse, pourquoi cet oubli après, pourquoi tout a-t-il continué comme avant, comme si elle n’avait jamais existé, comme si elle n’avait jamais aimé, souffert, pleuré, ri, donné la vie, pourquoi ?

Pourquoi les hommes souffrent-ils ? Pourquoi ont-ils du plaisir ? Pourquoi existent-ils ?

J’ai les yeux de ma mère, Michael aussi !

"No comment"

Qu’avons-nous vu sur notre chemin ? Qu’est-ce que ce chemin ? Celui des étoiles, celui que je voyais presque toutes les nuits dans le Luberon, celui sur lequel j’ai pu marcher, un chemin que l’on emprunte les pieds en l’air, à l’envers, afin que les racines soient célestes et que le corps se vide par la tête, pour que l’on n’oublie rien…

Mes pas ont foulé la poussière d’en haut, si belle qu’elle fait pleurer les yeux jusqu’à ce qu’ils voient mieux, mes pas ont secoué mon corps jusqu’à ce que son plus inaccessible remugle se décroche et tombe, mes pas ont accompagné un petit garçon si malheureux vers un repos paisible, mes pas m’ont même emmené tout près d’une étoile que je n’étais pas encore prêt à contempler.

Ils m’ont conduit sur mon chemin d’homme, la page est blanche, la page est belle, je pleure de bonheur d’avoir à la remplir. Je n’ai rien compris mais je sais que je suis le fils de ma mère, que Michael, Manuel Jr, Maxence et Mallory sont mes fils et que ce fil intangible ne meurt pas avec la déchéance du corps…

by Manuel at 23:30:11
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