15.06.05
Jeudi 16 juin
Histoire inachevée qui prendra fin
C’était un jeune garçon qui rêvait de pouvoir rêver… seul dans la nuit, il regardait inlassablement les filaments des phares des voitures, filtrés par le store, qui couraient libres sur le plafond de sa chambre.
Libre, comme 6 heures peuvent l’être pour midi, l’été pour l’hiver, le chaud pour le froid, l’exact contraire de ce qu’il était. Ces fragments de lumière qui passaient, fugaces mais tenaces, témoignaient chaque nuit de l’existence d’un ailleurs vers lequel ils s’enfuyaient, vers lequel ils l’entraînaient.
Son esprit, dans un mimétisme pathétique, rétrécissait jusqu’à ne plus former qu’une lame qui, à son tour, s’infiltrait au travers des interstices du store muraille. De sa forme effilée, il découpait alors les innombrables couches qui l’enfermaient dans son triste monde mais l’aube ou le sommeil le rattrapait toujours avant la réussite de son projet.
Les tentatives durèrent tant que le store exista, à chacune d’entre elles l’esprit se faisait plus aiguisé, plus exigeant mais pas plus heureux.
Et puis un jour, le garçon déménagea pour une maison dans la campagne. Le store disparut, les courses lumineuses sur son plafond aussi, il en resta désemparé le temps de profondément s’ouvrir le crâne sur une arrête de mur au terme d’un sprint providentiel.
Si l’événement fut accidentel, ses conséquences touchèrent au merveilleux car l’esprit affûté y vit un nouvel interstice par lequel s’échapper, cette fois librement, car la brèche était privée et ouverte de jour comme de nuit !
3 semaines plus tard, le chien du voisin lui arracha la moitié de la lèvre supérieure. Douloureuse mais si utile leçon, qu’il retînt comme suit : ce qui sort de cet orifice peut causer bien des tourments… Les points de suture qui douloureusement brimaient ses paroles renforçaient encore la lame cérébrale qui ne rêvait que de les trancher.
Les mois passèrent, le garçon s’évadait de plus en plus de sa prison par cette porte unique que le destin avait su créer en lui. A l’âge des doutes, il lui suffisait de toucher son front pour sentir son crâne fendu et sourire intérieurement devant cette liberté conquise par lui pour toujours.
Est-ce le choc, est-ce la pertinence de la réflexion… mais cette désormais différence morphologique avait instillé la conviction de la présence de quelque chose qui n’était pas matériel puisque cela pouvait sortir par cette opportune fracture…
Le destin veillait encore et il plaça bientôt le garçon devant la seule échéance qui l’attendrait sans jamais faiblir, la mort. Son grand-père et parrain était au plus mal, il s’en alla le veiller pendant 3 jours et 3 nuits, sans rien pouvoir lui dire parce qu’il était déjà inconscient lorsqu’il arriva. Les questions succédaient aux révoltes qui laissaient à leur tour place à la peur de l’inconnu et du vide de l’éternité.
Mais… 30 secondes avant de « passer de l’autre côté », le grand-père ouvrit les yeux, regarda paisiblement l’assemblée sans dire un mot, joignit les mains et les tendit au dessus de lui en direction d’une image pieuse, puis s’en alla…
Bien des années plus tard, l’esprit toujours vagabond, le garçon contemple ses cheveux qui blanchissent comme beaucoup de ses nuits, on ne peut pas impunément avoir débuté si jeune une telle réflexion sans que celle-ci ne prenne de plus en plus de place.
Le front toujours fendu, il pense au parcours d’une vie et cette partie immatérielle de lui qui courait après les phares des voitures ramène de ses escapades la certitude grandissante que tout ceci n’a de sens que si un après existe.
Si tel est le cas, il n’aura fait que prendre un peu d’avance en commençant à casser ce véhicule qui d’ici peu ne sera plus que poussière…
A demain
by Manuel at 23:18:03
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